jeudi 15 octobre 2020

Desertec : un mirage européen dans le désert arabique

Après s’être chauffée au gaz du Sahara, l’Europe plonge dans les technologies du futur et veut s’éclairer écolo grâce au soleil du même Sahara. Consciente des limites de ses capacités pour pouvoir répondre à la demande croissante en électricité de ses populations dans un futur proche, l’Europe commence à s’inquièter de sa sécurité énergétique, et semble avoir trouvé le sésame ou la solution miracle à ce problème. C’est ce qui ressort de l’analyse du club de Rome, dénommée « Desertec », pour laquelle il a été procédé à la création d’une fondation sous le même nom. Partant de l’idée que l’humanité aura besoin d’ici 2050 de trois terres pour couvrir ses besoins en ressources, et que les déserts de la planète reçoivent en 6 heures plus d’énergie solaire que n’en consomme l’humanité en toute une année, les initiateurs de Desertec projettent de capturer l’énergie solaire à partir des déserts de la région MENA (Moyen-Orient et Nord Afrique) et de l’acheminer par câbles sous marins au fond de la Méditerranée pour fournir au moins 15 % des besoins de l’Europe en électricité sans CO2 d’ici 2050. Pour un investissement qui avoisinerait les 500 milliards de dollars.Le projet Desertec est promu par le gouvernement allemand, adopté par l’Union européenne, et soutenu par quelques personnalités et hommes d’affaires des pays du Moyen Orient et du Maghreb. Ceux-ci affirment que la réponse à une éventuelle crise énergétique réside dans la nécessité d’une coopération entre les pays désertiques, les pays ayant des besoins en énergie, et les pays possédant des compétences techniques. Objectif : permettre l’aboutissement de ce projet qui semble à première vue inspiré d’un scénario de film de science-fiction.Qualifié de chimérique et de rêve d’enfants par ses détracteurs, le projet semble bien prendre du chemin, avec déjà la création d’un consortium d’entreprises allemandes, et la signature d’un protocole d’accord pour la création d’un bureau d’études Desertec chargé de la mise en place des structures en charge du projet, l’élaboration des business plans et la recherche des financements.L’originalité du projet réside dans sa consistance, et les moyens de sa concrétisation. En effet il s’agit de la réalisation de centaines de groupes électrogènes, équipés de milliers d'énormes miroirs, qui réfléchissent la lumière solaire vers des tours géantes remplies d'un fluide calorifique. Une fois chauffé, celui-ci fait tourner des turbines à vapeur qui produiraient semble-t-il des milliards de watts d’énergie électrique pour être enfin acheminés par câble sous-marin et distribués à l’ensemble des pays de l’Union européenne. Ses initiateurs soutiennent qu’ils envisagent aussi de satisfaire la demande de plus de 90 % de la population mondiale qui habite à moins de 3 000 kilomètres des régions désertiques, car ils estiment que les technologies nécessaires existent déjà et ont été testées. Desertec permettrait, selon ses promoteurs, l’assurance de la sécurité énergétique dans les pays de l’Europe, du Moyen Orient et du Maghreb. Des perspectives de croissance et de développement pour ces derniers, grâce aux énormes investissements qui seront réalisés, en plus de la garantie du futur approvisionnement en eau potable dans ces pays à climat aride, grâce à l’utilisation du surplus d’énergie dans des usines de dessalement d’eau de mer. Et comme cerise sur le gâteau, une réduction des émissions de carbone et donc, une contribution aux efforts internationaux de lutte contre le réchauffement climatique. Concret ou utopique, Desertec sème la confusion dans les milieux scientifiques, économiques, et écologistes, car bien que testé à petite échelle, certains scientifiques doutent de la possibilité de sa réussite à grand échelle. Car équiper 40 millions de km2 des surfaces désertiques en centrales thermiques solaires dotées de champs de capteurs paraboliques ou de collecteurs, et transporter ensuite sous la mer des milliards de watts d’électricité sur des milliers de kilomètres, par lignes de transmission de courant continu haute tension, avec tout ce que cela demande comme équipements, relève de la prouesse scientifique. Les économistes pour leur part doutent de l’efficience économique du projet et estiment que le coût de production dissuaderait plus d’un a y adhérer. Car vu le coût exorbitant de l’investissement, estimé à plus de 500 milliards de dollars (sans compter tous les frais qui s’y greffent en cours de route), le kWh produit couterait, avec des estimations optimistes, plus du double du même kWh produit à partir de l’énergie fossile. De plus, rien n’est sûr quant à l’amortissement des investissements, même dans le long terme, en raison des conditions extrêmes du désert qui, semble-t-il, ne sont pas du tout prises en compte dans les calculs des coûts de production. Ce qui laisse un doute quant à sa viabilité économique. Certains écologistes plaident en défaveur du projet, même si Greenpeace y a adhéré dés le début, et pensent que, malgré ses avantages certains dans la réduction des émissions de CO2 en Europe, ce dernier recèle bien des désagréments à l’environnement et peut avoir des conséquences dramatiques sur la santé des populations autochtones. Sans compter ses effets néfastes sur l’esthétique des paysages. Les sceptiques européens, à leur tour, pensent que lier sa sécurité énergétiques à des pays considérés, à tort ou à raison, instables et versatiles, donnerait l’occasion à ces derniers de les faire chanter au moindre soubresaut politique, et les priveraient d’énergie à chaque saute d’humeur de leurs dirigeants. Le cas de la Russie avec l’Ukraine, en matière d’approvisionnement en gaz, en est l’illustration parfaite. Produire de l’énergie électrique à partir du soleil est une idée noble en soi, car elle représente, du moins pour le moment, une solution appropriée à une pénurie des énergies fossiles dans les années à venir. Mais il reste à se demander s’il existe une réelle volonté de la réaliser, conformément aux raisons invoquées et selon des normes respectueuses de l’environnement et de la souveraineté des pays du Sud. Ou au contraire, si elle va se réaliser selon des normes qui répondraient à des desseins inavoués, sur fond d’une guerre de leadership technologique entre l’Allemagne et la France, par énergie nucléaire française et énergies renouvelables allemandes interposées. Pour leur part, certains penseurs des pays du Sud parlent d’un nouveau concept qui a fait son apparition sous l’appellation d’éco-colonialisme. Celui-ci est fortement défendu par ces derniers, voyant dans ce projet une réédition du colonialisme sous une forme verte plus soft. Et ils se demandent s’il est juste d’aller chercher le confort des Européens dans le désert, sur le compte des populations du sud : une sorte de « déshabiller Pierre pour habiller Paul ». Mais ce qui intrigue le plus dans ce projet, c’est le fait d’avoir été préparé en l’absence des acteurs principaux, à savoir les pays producteurs. Car à part les quelques personnalités qui ont adhéré par convictions ou intérêts personnels, et dont l’acte d’adhésion n’engage en rien leurs pays, aucun Etat du Sud n’a été associé d’une manière officielle aux préparatifs du projet. Comme si on préparait un mariage sans le marié, car la mise en application du projet relève du droit international, qui ne peut se faire sans l’adhésion volontaire des différents protagonistes. Aussi, l’occultation volontaire d’un problème des plus sérieux, à savoir la position des population autochtones, propriétaires séculaires du désert, rendrait légitime la question de savoir si les initiateurs du projet ont sollicité l’avis de ses dernières qui supporteraient seules les conséquences néfastes du projet, et qui verraient leur milieu naturel entièrement transformé. Elles représentent en fait le nœud gordien du projet et, sans elles, le mirage Desertec va entraîner ses promoteurs loin dans l’immensité du désert.
CHAALAL MOULAY

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